Un conte pour débattre en famille

Tom et l’épouvantable chapeau

Alexis, le concepteur des activités Délirovores, est également auteur. Il a écrit 4 contes pour débattre et philosopher en famille. Voici l’une de ses histoires, pour réfléchir en famille autour du pouvoir de la mode… N’allez pas croire que l’histoire n’est destinée qu’aux enfants 5 à 8 ans ! Elle a été lue et appréciée par des CM2, et même des collégiens.

Chapitre 1 — Tom le ringard

Pauvre Tom !
Il ne parvenait jamais à être à la mode. La mode, pour lui, était comme un écureuil en forêt : ça va beaucoup trop vite. A peine aperçu, il a déjà filé. Notre Tom avait toujours un temps de retard. Il n’était jamais à la mode, mais alors vraiment, vraiment jamais. Tu vas me dire, « Quand même ! C’est sûrement exagéré. Le héros de cette histoire a bien dû être à la mode au moins une fois dans sa vie ».
Eh bien non, pas une seule fois ! Je n’exagère rien.
Sauf à la naissance, peut-être… à la rigueur. Lorsque Tom poussa son premier cri, comme pour tous les bébés on coupa le cordon ombilical et on le nettoya, puis on lui enfila le pyjama pour nouveau-nés fourni par la clinique. Tous les autres bébés nés ce jour-là avaient le même, tout le monde était pareil, au point que chacun portait un bracelet pour ne pas confondre un bébé avec un autre… Ce jour-là, et seulement ce jour-là, Tom fut à la mode.

Tout se compliqua dès son deuxième jour d’existence. Si ! Tom commença à devenir ringard dès son deuxième jour de vie ! Le pauvre… Heureusement bien sûr, il n’en garda aucun souvenir. Car ses parents continuèrent de l’habiller avec le pyjama de la clinique… Alors que tous les autres nouveau-nés étaient déjà revêtus d’habits offerts par la famille.
Et ça ne s’arrêta pas là. Au contraire, tout devint de pire en pire.
A trois ans, les copains-copines étaient en t-shirt et jean. Tom, lui, en chemise et en short. Les enfants pouvaient grimper aux arbres sans crainte, lui n’arrêtait pas de s’écorcher les mollets.

A six ans survint la mode des casquettes. Tout le monde en portait une, sauf Tom. Il mit un temps fou à convaincre maman de bien vouloir lui en offrir une. Elle était d’accord en échange d’un quatorze en dictée. Le temps de l’obtenir (il n’était pas très bon en dictée) et la mode des casquettes était passée. Tom ne voulait plus en porter, quel intérêt à présent ? « Tu n’es jamais content » soupira maman.
A sept ans, c’était la mode des ceintures dorées fluo. « C’est stupide une ceinture dorée fluo », tu me diras. Eh bien, à l’époque, stupide était celui qui n’avait pas de ceinture dorée fluo. Ne prends pas cet air étonné ! Si demain tous tes copains se mettaient à en porter une tu en voudrais une toi aussi. Mais si, ne fais pas non de la tête !

Tom allait aujourd’hui sur ses dix ans, et il était toujours aussi démodé. C’est pas normal se répétait-il souvent, c’est à soixante ans qu’on est ringard, pas quand on a encore des dents de lait !
Il faut dire que la famille ne faisait rien pour l’aider. Phil, son grand frère de quinze ans, refilait ses vieux vêtements à Manu, son grand frère de douze ans, une fois qu’ils étaient trop petits pour lui. Et devine quoi ? Eh si : une fois les vêtements trop petits pour Manu, ce dernier les refilait à notre infortuné héros. Tom était vraiment le dindon de la farce (*), et la farce n’était pas très drôle. Enfin, pour toi si peut-être, mais pour lui pas du tout.

Tom était très ennuyé par cette situation. A l’école, le garçon était sujet à bien des moqueries.
« Salut Tomos le ringardos ! »
« Eh, tes fringues sont périmées ! »
« Tom, ta mère a encore récupéré un rideau pour t’en faire un pantalon ? »
« La machine à voyager dans le temps de Tom est nulle, elle va que dans le passé ! »
« C’est quoi ce look des années trente ? »
« Quand je portais ça j’étais en maternelle »
« Charles Ingalls a téléphoné, il veut récupérer sa chemise ! »

Voilà le genre de phrase plus ou moins à longueur d’année. Généralement ce n’était pas méchant, d’ailleurs comme on dit, qui aime bien charrie bien… Seulement à la longue, c’était drôlement agaçant. D’habitude les copains n’avaient pas beaucoup de vocabulaire, par contre lorsqu’il s’agissait de vanner, là, ils devenaient des littéraires !

Lorsqu’il en avait assez de tout cela, Tom s’isolait près de chez lui, à l’orée de la forêt, en compagnie de ses amis les gnomes. Les gnomes sont de petits êtres vivant dans la nature. Un peu magiciens, assez sauvages, très farceurs. Avec eux on s’amuse bien… à condition de les voir. Car ils sont invisibles aux yeux des humains, comme les autres êtres fantastiques tels fées, dragons ou lutins.
Tom, lui, les voyait. Et pouvait même les toucher, les entendre et leur parler.
Pourquoi ? Mystère… Il le pouvait voilà tout. Le garçon possédait ce don de la nature depuis tout petit. La prochaine fois que tu marches en forêt, essaye d’en apercevoir, ça ne coûte rien d’essayer. Si tu vois les fougères bouger et crois entendre de petits rires, ce sera peut-être eux.

Tom avait donc pour copains une bande de gnomes habitant non loin de chez lui, la maison du garçon étant juste à côté du bois. Quelle chance, me diras-tu ! Eh bien, comme nous allons le voir… oui et non.
Les gnomes avaient tous à peu près la même bouille. Leurs visages étaient terreux car ils ne se lavaient jamais (ils ne sentaient d’ailleurs pas très bon), ils avaient des cheveux couleur argile rouge, des tas de petites dents brillant dans le noir, des habits de feuille. Leurs pieds étaient nus, crochus, leurs yeux étaient soit rouges, soit oranges. Ah ça, ils n’étaient vraiment pas très beaux.
Les plus grands d’entre eux ne mesuraient pas plus d’un mètre. Heureusement que presque tous les humains ignoraient leur existence, ils auraient effrayé les promeneurs.

Chapitre 2 — L’idée des gnomes

« Arrête de te plaindre, tu nous embêtes avec tes envies d’habits à la mode », disaient-ils parfois à leur copain. « Regarde-nous ! On est tout le temps vêtus pareils et ça nous va très bien ».
« Justement » leur répondait Tom. « Vous n’avez qu’une seule mode pour toute votre vie, et aucun d’entre vous n’est différent des autres. Chez vous c’est facile, tout le monde est à la mode tout le temps ». Avec eux les discussions étaient courtes, le plus souvent ils préféraient jouer que parler.

Un jour que Tom les ennuyait encore sur le même sujet, un gnome lui dit malicieusement :

— T’inquiète pas Tom. Si tu veux, nous, on te fabrique un look futuriste rien que pour toi. Comme ça tu seras plus du tout ringard.
— Je serai à la mode ? Pour de bon ? Demanda-t-il plein d’espoir.
— Mieux ! Répondit un autre. Tu seras en avance sur tout le monde !

Le garçon se demanda un instant comment des habitants de la forêt pouvaient savoir ce qui était à la mode chez les humains. Mais après tout, il avait affaire à des êtres magiques. On pouvait toujours essayer, ça ne pourrait pas être pire que maintenant.
Et les gnomes de courir à travers le bois pour cueillir, tresser, arracher et raboter (*) tout ce qu’ils pouvaient trouver pour habiller leur copain. Ils effrayèrent lapins et sangliers, dérangèrent les arbres, déracinèrent des plantes… On aurait pu croire les gnomes écologistes. Eh bien non ! Ils étaient tout le contraire, d’ailleurs ils ne triaient jamais leurs déchets.
Ainsi, en un rien de temps, Tom eut sur lui :
Une chemise tricotée en feuilles de vigne vierge.
Une ceinture en racines de boulot.
Des trèfles accrochés à ses lacets.
Et des brins d’herbe dans les cheveux pour leur donner des reflets verts.
Tu t’en doutes, Tom avait une apparence… très particulière. Les gnomes étaient fiers de leur travail et ne tarissaient pas d’éloges envers leur ami.
« Tu es superbe ! »
« Magnifique ! »
« Un vrai roi des forêts ! »
« Tu vas avoir un succès phénoménal ! »
« Toutes les filles de l’école vont vouloir t’inviter à leur boum pour danser un slow avec toi ! »
Et cétéra.

Très naïf, le garçon était désormais persuadé que les soucis étaient résolus, et remercia mille fois les gnomes avant de repartir à la maison, sans entendre les pouffements et petits rires que ces derniers avaient bien du mal à cacher.
Tom rangea soigneusement ses nouveaux habits et se mit en pyjama. Ses deux frères, trop occupés sur leurs jeux vidéo, ne remarquèrent rien. Quand papa et maman rentrèrent du travail, Tom était en pyjama et il ne lui restait que les brins d’herbe dans les cheveux. Mais à cette heure, les parents étaient trop fatigués pour vraiment s’en rendre compte.
« C’est bizarre fils, je ne me souvenais pas que tu avais les cheveux verts », dit papa en regardant la télé, yeux mi-clos.

Chapitre 3 — Aïe aïe aïe…

Ce matin, Tom n’eut aucun mal à se réveiller. Il s’habilla avec son nouveau look, ne se donna même pas la peine de petit-déjeuner et fonça à l’école. Il n’eut pas le temps d’entendre les voix de ses frères, Phil et Manu, lui demandant pourquoi il s’était vêtu aussi affreusement… leur petit frère partit si vite qu’ils le virent à peine passer.

« Enfin ! » se dit-il. « Enfin la jolie Nathalie va me regarder. Enfin Bruno et Philippe vont arrêter de me balancer des vannes, enfin le balayeur de l’école ne me confondra plus avec sa serpillière. Je suis le plus beau, le meilleur, le plus fabuleux garçon de la cour de récré !». Bref, il était rempli de joie et d’espoir, et jamais il ne se rendit à l’école avec un tel entrain.
Pauvre Tom ! Tu as sans doute un peu deviné la suite…
A peine les portes de l’école franchies, ce fut un concert de rires et de moqueries.
« Tom l’homme des cavernes ! »
« Attention, on a retrouvé le yéti ! »
« Bilbo le Hobbit vient d’appeler, il voudrait récupérer ses vieilles frusques ! »
« Je vais aller prévenir le zoo, leur gorille s’est échappé ! »
Et cétéra.

La maîtresse elle-même eut du mal à s’empêcher de rire lorsqu’elle le vit. Elle y parvint de justesse. Pour calmer un peu la classe, elle fit taire tout le monde et tenta de défendre Tom.
« Voyons les enfants ! Tom aime bien les blagues. Il s’est déguisé pour vous amuser, mais maintenant il faut reprendre notre leçon ».
La maîtresse venait de lui sauver la mise : les autres enfants la croyaient. En principe tout allait bien, l’histoire allait se finir là.
Seulement, ce n’était pas le genre du garçon. Tom aurait dû ne pas répondre !
« Pas du tout ! » dit-il, vexé. « Je ne suis pas déguisé, je suis en avance sur la mode, c’est tout ! ».
L’éclat de rire fut général.
« Ce que je veux dire, c’est que je suis encore dix fois plus à la mode que n’importe lequel d’entre vous ! », renchérit-il.
L’éclat fut plus fort encore, éclat auquel cette fois la maîtresse participa un peu.
Et Tom d’en rajouter… et encore, et encore. Et qu’il avait une apparence du futur, qu’il avait été conseillé par des gnomes, que les ringards c’était eux, que dans dix ans tout le monde serait habillé comme lui, qu’il était le petit-fils caché d’un grand couturier… Plus la classe rigolait, plus ça l’énervait et plus il en rajoutait. La maîtresse finit par ne plus tenir et éclata de rire avec les autres. Tom en fit alors encore plus : il décréta qu’il était le garçon le mieux habillé de la terre, qu’eux étaient moches, que s’il voulait il pourrait devenir mannequin mondialement célèbre, et bien d’autres affirmations plus énormes encore. A la fin, c’était la pagaille générale : les copains et copines riaient tellement qu’ils en étaient tombés de leur chaise, tout le monde était par terre en se tenant les côtes, pleurant littéralement de rire… et la maîtresse aussi. On ne parvint presque pas à travailler ce jour-là. Les copains-copines finirent par supplier Tom d’arrêter : à force ils en avaient mal aux abdominaux et ne parvenaient plus à reprendre leur souffle. En plus, quand ils tentaient de se relever, ils dérapaient sur leur propres larmes (de rire) et se cassaient la figure.

Au retour, le garçon dut se rendre à l’évidence : ses amis les gnomes lui avaient fait une mauvaise blague. On l’avait eu ! Furieux, il se précipita de nouveau, cette fois en direction de la forêt. Ah, ils allaient voir ce qu’ils allaient voir ces idiots de gnomes !

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